vendredi 27 février 2015

Critique n°13 : Telltale, le studio qui se la raconte


En ces derniers jours de vacances de février, qui ne prêtent ni à rire ni à sourire malgré quelques rayons de soleil passagers, il est temps de parler des jeux Telltale.

I. Tel / telle ?

Nope, telltale, mot basé sur la combinaison fantastiquement innovante entre tell (raconter, ce qui a permis un jeu de mot très comique pathétique dans le titre) et tale (conte, histoire). C’est un studio de développement et d’édition de jeux vidéos qui se concentrent sur des jeux spéciaux, qui se basent particulièrement sur des choix de dialogue et quelques actions contextuelles permettant de faire avancer l’histoire dans plusieurs directions différentes suivant les choix du joueur. Chaque jeu telltale a la même déclaration initiale que je vous traduis avec mes superbes talents (inexistants) de linguiste : l’histoire est influencé par les choix que vous allez prendre.

Ce qu’il est important de savoir, c’est que Telltale aime bien reprendre des licences relativement connues par la communauté de joueurs ou autres : ils ont repris Sam & Max (bon, d’accord, pas par TOUS les joueurs), Retour vers le Futur ( !), les comics Fables et The Walking Dead.

Jouer à un jeu Telltale, c’est subir une histoire qui se déroule à travers les yeux (en vue à la troisième personne, paradoxe ?) d’un personnage particulier qui a plusieurs moyens d’actions sur le monde : déjà, il dispose de plusieurs actions contextuelles lorsqu’il peut se déplacer relativement librement à des moments précis de l’aventure, comme regarder des objets, les prendre, parler à des gens. Ca rappelle le point’n’click. Mais la principale originalité est le système de dialogue : ils sont excessivement nombreux (l’homme est un animal social, merci Aristote) et régis selon le principe de « je dois me grouiller de choisir une réponse et ces réponses auront des répercussions positives ou négatives dans le reste du jeu ». Vous voilà prévenus. Ces dialogues se présentent sous la forme de cinématiques interactives, et les choix peuvent même concerner plusieurs types d’action (sauver ce gars ou non, remettre machin à sa place ou non).

En fait, un jeu Telltale est une cinématique permanente qui redevient quelque peu jeu dans ses phases point’n’click. Mais ces cinématiques sont interactives et forment le cœur même de l’ambiance vidéo-ludique qui en découle. Les scénarios sont étoffés, les personnages travaillés et les choix peuvent être déterminants. Tout du moins dans The Walking Dead et The Wolf Among Us que nous allons voir maintenant (admirez la transition remarquable).

II. J’ai vu le loup

Ce dernier est adapté d’un comic américain de Bill Willingham (créateur et scénariste) s’appelant Fables. Son comic (= BD américaine) porte les personnages des contes que nous connaissons généralement sans savoir d’où ils viennent dans le monde contemporain, c’est-à-dire les personnages de Perrault, des frères Grimm, d’Andersen bla bla bla. Sexe, pouvoir, richesse, prostitution, la base de nos sociétés contemporaines en somme appliquée à des personnages fabuleux (Dominique, un personnage non fabuleux, réunit toutes ses composantes aujourd’hui, si c’est pas beau ça).

Dans le jeu et dans le comic apparaît un personnage particulier : le sheriff de Fabletown, Bigby Wolf, alias le Grand Méchant Loup qui prend forme humaine pour l’occasion et essaye de se racheter en participant à la communauté de vie qui doit vivre dans le monde des humains en cachant des formes fabuleuses. Dans le jeu de Telltale, c’est l’histoire sordide de meurtres par décapitation qui va précipiter ce Bigby que nous incarnons dans la tourmente.

La tourmente des coups de poing
 Comme vous connaissez désormais les composantes d’un jeu Telltale, on va voir les spécificités. D’abord l’ambiance est excellente : c’est une logique d’une autre nature qui apparaît ici, entre sorts magiques et créatures imaginaires, mélangé à un polar. De plus, les lieux que peut visiter le sheriff sont sordides, glauques, le tout porté par un graphisme assez somptueux qui fait penser à un comic qui prend vie. Les personnages que vous connaissez en conte apparaissent dans toute leur splendeur ou déchéance (la réécriture du Petit Chaperon Rouge par le Bûcheron est marrante). La musique est discrète et dilue l’ambiance prenante. On se plaît à incarner Bigby qui doit se faire accepter par les Fables (prononcez-le de façon anglaise) et qui oscille entre monstre et pas monstre.

Mais voilà, il y a un problème de taille ici : les choix semblent n’avoir aucune importance et le joueur le ressent (en tout cas moi). Les choix peuvent être tendus, moraux, mais il me semble qu’on a juste le choix entre être gentil et être méchant, et à deux ou trois morts près, ça n’a que peu d’influence sur le déroulement du scénario. Et un autre problème que j’ai remarqué est que les phases point’n’click sont assez lourdes et peu intéressantes. On s’ennuie facilement et on prie pour retrouver rapidement un dialogue.

Des choix difficiles...
 En bref, The Wolf Among Us est plus une réussite au niveau de l’histoire, du scénario et du fond qu’au niveau du jeu en lui-même, de la forme si vous préférez, avec bien souvent des choix qui nous tiraillent rarement et qui peuvent se résumer à : to be an asshole, or not to be (les grossièretés passent mieux en anglais). C’est dommage, peut-être la saison 2 saura utiliser plus sûrement les différents choix.

III. Des humains pour quatre-heures

Le comic The Walking Dead de Ribert Kirkman et Tony Moore est ce me semble mieux connu que Fables, mais on va quand même résumer le concept : une maladie fait que les morts se relèvent et cherchent à manger les non-morts (Les morts qui marchent si vous voulez une traduction stupide littérale), et ceux qui ne sont pas encore morts et sont maintenant peu nombreux essayent de survivre. La survie et les zombies (appelés walkers au cas où on parlerait de plagiat), on a vu plus original. Le principe du comic et du jeu vidéo qui en découle est de mettre l’accent non pas sur la survie contre les zombies, mais sur la survie en général, avec des principes comme la cohésion de groupe, la relations avec les autres groupes, bref on reprend la théorie historique du « groupe primaire » et on l’applique à une situation de catastrophe. Les groupes de survivants peuvent se battre entre eux pour des questions de territoire et bien souvent de ressources, et les walkers sont en arrière-plan, toujours prêts à intervenir quand ils sentent le sang et les balles.

La relation avec "Clem" est déterminante pour Lee
 Donc le jeu vidéo reprend ce principe, et la première saison nous met dans les chaussures de Lee, un rescapé d’un accident de la route qui se réveille quelques jours après la catastrophe et rencontre sur son chemin une petite fille du nom de Clementine qu’il va essayer de protéger. Dans ce monde maintenant étrange, il va rencontrer différents groupes et tâcher de survivre. Là, vous voyez l’ambiance. Très prenante. La violence est partout, les disputes sont fréquentes (parfois pour des broutilles) et on essaye juste de s’en sortir.

On rigole peu
Au niveau des choix, le jeu présente de VRAIS cas de conscience où aucun choix n’est le bon et où il faut parfois voler les autres pour nourrir les siens. On a toujours l’impression en jouant d’être sur une corde tendue au-dessus d’un précipice, et le joueur a l’impression de participer pleinement à cette aventure et de faire de vrais choix. On finit même par accepter la paranoïa et de voir dans les inconnus une menace inhérente. Le graphisme est aussi en cell-shading et rappelle encore le comic.

Conclusion

Deux bons jeux Telltale, deux réussites entre 2012 et 2014, mais aussi des différences certaines notamment sur la portée des choix (ou l’impression de portée des choix). Comme Heavenly Rain ou d’autres jeux de Quantic Dream, c’est entre un jeu vidéo et un film, mais par l’interaction cela reste un jeu vidéo (c’est la définition même du jeu). Qui lorgne sur le cinéma et les séries télévisées. L’avenir du jeu vidéo réside t-il dans ces jeux-films ? Non. Le gameplay d’un jeu vidéo doit permettre de faire des erreurs pour nous faire apprécier la réussite. Il nous donne les moyens d’arriver à nos fins, et plus ces moyens sont divers et complexes, plus le jeu est dur (excepté dans un rogue-like où les moyens peuvent être simples, et la réalisation presque impossible). Cependant ici, on reste tendu comme devant un bon film et une bonne série, et on est content de faire quelques choix, mais aucune erreur n’est vraiment possible (et donc aucune satisfaction exceptée celle de finir l’histoire en fonction de quelques choix).

Ce sont tout de même des jeux vidéos, plaisants qui plus est, même si The Walking Dead reste selon moi supérieur à The Wolf Among Us. Je vous les recommande, ne serait-ce que pour vous donner une autre idée du jeu vidéo.

Bonne rentrée aux malheureux qui recommencent lundi ! (je me vise moi-même)

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